LES COLLÈGUES PUBLIENT

DE PARTI PRIS À POSSIBLE

Souvenirs d’un intellectuel rebelle
1936-2016

Varia 2018

Gabriel Gagnon

 

Voilà un livre que devrait lire toute personne intéressée à l’histoire récente du Québec.

J’aurais préféré que le sous-titre de ce livre autobiographique prenne la place de son titre.
Gabriel GagnonEn effet, quand Gabriel Gagnon devient directeur de Parti Pris, il a déjà 30 ans. Pendant les trente premières années de sa vie, il s’était déjà affirmé en tant qu’intellectuel et il avait, à maintes reprises, montré qu’il pouvait être rebelle.
Gabriel Gagnon a vécu une jeunesse heureuse dans un milieu bourgeois, ce qui ne l’empêchera pas de montrer des signes de rébellion dès ses premières années d’études au collège classique.  En classe de versification au Collège Charles-Garnier, ayant montré — selon ses mots — qu’il ne correspondait pas au modèle du bon élève des jésuites, il est mis à la porte du collège. Aujourd’hui, il écrit que son allergie à la religion en serait sortie renforcée.

Plus tard, il sera pensionnaire au Séminaire de Rimouski, où dit-il « Pour tromper l’ennui, plusieurs d’entre nous se livraient à des formes légères de délinquance. » Et puis, malgré le fait qu’il avait été premier au baccalauréat à Rimouski, il est encore mis à la porte de son collège, car on lui fit savoir que « son état d’esprit rebelle ne convenait pas au caractère de l’institution ». Il passa ensuite au Séminaire de Québec où il fut fortement influencé par Louis O’Neill, au point de l’accompagner dans la célébration de la veillée pascale, malgré sa foi chancelante.

En 1953, il s’inscrit en philosophie à l’Université Laval, mais il s’intéressa surtout à la philosophie des sciences. Rapidement, il ajoute une formation en sciences sociales à ses études de philosophie.
Il nous dit qu’il tenait alors un journal, mais on peut supposer qu’il a toujours tenu un tel journal. Sinon, les multiples détails de ses activités au cours de sa vie auraient supposé une mémoire phénoménale.

Très tôt (été 1956?), il fait un voyage en Europe, en tant qu’un des trois représentants de l’Université Laval à un séminaire de l’Entraide universitaire mondiale du Canada (EUMC) qui se tenait en Europe (Grèce, Yougoslavie, Russie, Espagne, Allemagne). Sa bourse-salaire qui permettait de défrayer les coûts de son voyage avait été obtenue grâce aux relations de son père avec les dirigeants de l’Union Nationale!

À son retour, il est élu président de la Fédération nationale des étudiants universitaires canadiens (FNEUC). Cela l’amène à l’Université Carleton, où à 21 ans il rencontre toutes sortes de difficultés. Dans le cadre de la FNEUC, il visite le Nigeria, la Suède, la Hollande et la Pologne. Il apprend plus tard que ses frais de voyage avaient été payés par un organisme de la CIA!
À Ottawa, en 1957, il rencontre celle qui devait devenir sa compagne de vie, Marie Nicole L’Heureux. Ils se marient en 1959 à l’église Notre-Dame-de-Grâce.

Il retourne alors aux études et choisit la sociologie à l’Université Laval, où il apprécie les professeurs Yves Martin, Fernand Dumont et Gérald Fortin. En 1960, il termine une étude sur « Les zones sociales de l’agglomération de Québec », puis il participe à une vaste étude sur la persévérance scolaire, dirigé par Arthur Tremblay.
C’est dans ces années-là qu’il commence à militer au sein de partis politiques de gauche, d’abord au Parti social-démocrate du Québec (PSD), puis au NPD. En 1960, il publie deux articles dans la revue Cité Libre pour lesquels il reçoit les félicitations de Pierre Elliot Trudeau!

En 1960 il commence des études de doctorat à Paris sous la direction de Georges Balandier, sociologue africaniste. Il participe activement à la vie intellectuelle française, même s’il se trouvait un peu étranger dans ce pays. Il devait maintenant choisir un sujet de thèse : il était attiré par l’idéologie autogestionnaire et il voulait analyser comment la réalisation du socialisme pouvait émerger dans le cadre des coopératives, des syndicats et des associations économiques africaines. En 1962, Gabriel et Marie Nicole partent pour Dakar où il devait observer le fonctionnement du socialisme africain basé sur les coopératives et l’animation.
En 1963, il revient au Québec et accepte un poste à l’Université de Montréal au département d’anthropologie. À l’été 1963, il participe au Bureau d’aménagement de l’Est du Québec (BAEQ) pour un travail sur le processus de régionalisation scolaire. Au printemps 1965, il va défendre sa thèse de doctorat à Paris.
Il reprend ensuite ses activités de nature politique au PSD où il fait partie de l’exécutif. Il passe au comité de rédaction de Parti Pris en 1966, puis en devient directeur avec Gaétan Tremblay et Luc Racine. Parti Pris vécut ensuite des divisions d’orientation, puis des problèmes financiers. Suite à cette expérience, il rêva à la création d’une revue fondée sur le socialisme autogestionnaire.

En 1970, il devient agrégé et passe au département de sociologie. En année sabbatique (1969-1970), il va d’abord à Aix-en-Provence chez Gilles-Gaston Granger, puis il va en Tunisie poursuivre ses recherches sur les coopératives et leurs possibilités autogestionnaires.

Peu après son retour à Montréal, c’est la crise d’Octobre. Il y joue un rôle important et actif en mobilisant universitaires et intellectuels.

Il milite ensuite au NPD pour finalement se présenter aux élections de 1972 dans le comté de LaFontaine, ce qui lui a permis de mieux connaître les montréalais. Il n’obtient que 13% du vote, dû en partie à la consigne de René Lévesque favorisant l’annulation de son vote. Il continue malgré tout de militer au sein du NPD-Québec et ensuite au RCM (Rassemblement des citoyens et citoyennes de Montréal).

En 1974, il fonde avec Marcel Rioux, Gérald Godin, Roland Giguère, Gaston Miron et Gilles Hénault la revue Possibles.
Il participe ensuite au SGPUM et à l’Assemblée Universitaire.
Dans ses enseignements, il a toujours eu le souci d’intégrer des questions d’épistémologie dans les sciences sociales. Il approfondit ces considérations lors d’un congé sabbatique à Oxford en 1976.
En 1999, à un colloque international, il présente une contribution sur L’autonomie collective aujourd’hui, Vers un nouvel imaginaire social.

De 1980 à 1983 il entreprend avec Marcel Rioux une recherche sur Les pratiques émancipatoires en milieu populaire, dans le cadre de l’Institut Québécois de la recherche sur la culture, présidé par Fernand Dumont et dirigé par Jean Gagné.
Au 10e anniversaire de la revue Possibles, un numéro important porte sur l’autogestion, l’autonomie et la démocratie. En 1988, il publie avec Marcel Rioux un travail aux Éditions de l’IQRC portant sur l’autogestion et l’émancipation.
À cette époque, il participe à plusieurs reprises aux colloques de Cerisy-la-Salle.
En 1989-1990, il devient membre de l’exécutif du SGPUM sous la direction d’André Tremblay, puis d’Yves Lépine.
En 1999, à un colloque international, il présente une contribution sur L’autonomie collective aujourd’hui, Vers un nouvel imaginaire social.

À la retraite, il continue le travail à la revue Possibles, éventuellement surtout en ligne, quelquefois en version papier. En 2015, il dirige un numéro suivi d’un colloque sur le thème Pétrole et après. En 2016, il partage la responsabilité du numéro de Possibles sur le 40e anniversaire de la revue.

En conclusion de son livre, il nous confie : « Si j’ai pu avoir une vie bien remplie, c’est surtout grâce aux personnes qui m’ont comblé de leur estime et de leur affection. Depuis déjà cinquante-sept ans, j’ai partagé avec ma compagne Marie Nicole amour, joies, chagrins, préoccupations intellectuelles et politiques. Sans son appui de tous les jours, je vois mal ce que j’aurais pu accomplir. »

Et plus loin : « Je reçois chaque jour à ma porte un Devoir menacé, je lis chaque mois le Monde Diplomatique et Esprit, qui représente deux facettes de la gauche française et aussi la revue Relations, dont la présentation et le contenu m’inspirent. »

Jean-Robert Derome

 

Design. JLV