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L'Artisan

de Jacques Brault , (Éditions du Noroît, Montréal 2006, 128 pages)

Sortant du noir et vous apparaissant sur la couverture, un hibou vous regarde, drôlement posé sur une branche qui semble faire corps avec lui, l'humanisant en quelque sorte et le prolongeant à la fois vers l'arrière et à l'avant, au point qu'il a l'air d'un danseur qui s'étire, sur le point d'exécuter un mouvement périlleux, mais en même temps il est parfaitement immobile. Il n'y a pas de proie pour ce prédateur mélancolique. L'oiseau de nuit rêve, les yeux en apparence grands ouverts mais tournés vers le dedans de soi et des choses, tel un philosophe ancien, un romantique, un contemplatif ou un poète.

Le dessin est signé Jacques Brault et celui-ci ne s'objecterait sans doute pas à ce que l'on y voie son autoportrait, quand on sait l'amitié qui lie le poète, Brault comme Orphée, aux bêtes et à la nuit, ainsi que l'amour qu'il voue aux fleurs. Le recueil L'Artisan comprend neuf séries de poèmes ou proses : Tombeau, Presque chansons, Ce que disent les fleurs, Caprices, Proses peut-être, Quatrains comme, Au cœur du bois, Quartier libre, Relèvement. C'est publié aux éditions du Noroît. On regrettera seulement que les parutions originales de ces séries, en revue ou dans des éditions à tirage limité, n'aient pas été signalées. Plusieurs sont inédites.

Beaucoup de douceur, en même temps que de la douleur, émane des poèmes. Ils sont d'une belle sensibilité, comme toujours chez Brault dont l'oreille est ouverte aux bruits et à la musique à la fois des âmes, des animaux et du paysage. Et aussi aux silences du monde. Les poèmes sont d'une intelligence rare, au niveau des idées (Brault aime Mallarmé, on ne l'a pas assez vu, sous son orientalisme) ou des émotions évoquées (d'un extrême raffinement, avec fulgurances et virevoltes) autant qu'au niveau de la forme, calquée parfois sur des modèles anciens ou exotiques, mais bien adaptée au français et très travaillée, comme artisanalement, avec des vers ciselés et rimés de temps en temps, dans des strophes simples mais éblouissantes, subtiles certes mais directes en même temps, touchantes, souvent poignantes.

La mort n'est jamais loin et ce pourrait être un cliché, mais il y a la manière, la voix de Brault et toujours la petite lumière dans le paysage des yeux et dans le cœur. Parfois elle est derrière, la mort. On l'a échappé belle. On survit, se survit, retrouve, découvre, relève. On prend conscience. On respire, on regarde, on existe parmi les hommes, les anges, les fantômes et tout un bestiaire et toute une flore. On est dans la « stupeur d'être là », tout simplement vivant, encore, si peu que ce soit. Mais c'est immense. Un site, un mot vous frappent. Des sons, leur écho, leur résonance vous réveillent. Dans un grincement de poulie ou le cri d'un geai bleu, le monde, la vie, les mystères vous sont dévoilés.

Mais pas si vite.

Presque, peut-être, comme : ces adverbes sont typiques de Brault, le guetteur, ne lâchant jamais l'ombre pour la proie.

Patience et modestie, labeur et finesse, dévouement et espérance font l'artisan qui fait ces poèmes.

commentaires de François Hébert

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