Université de Montréal

Association des professeurs retraités
de l'Université de Montréal



GRAINS DE SAGESSE

 

Été 2006, numéro 12

La FES, les bébés et l'eau du bain

L'Université McGill a procédé en 2002 à une importante modification des structures d'encadrement de ses études supérieures. Elle a décentralisé les pouvoirs et investi les facultés de responsabilités accrues en matière d'études supérieures. Elle a retiré le statut de FACULTY à la nouvelle structure et lui a attribué le titre de Graduate and Postoctoral Studies OFFICE. À l'Université de Montréal, le titre équivalent serait probablement le BUREAU (ou le SERVICE ?) des études supérieures et postdoctorales.

Il y a tout lieu de croire que ces changements lourds de conséquences concernent également l'Université de Montréal.

On sait qu'un comité présidé par le vice-recteur Frémont s'interroge actuellement sur les changements à apporter au rôle de la FES. On sait aussi que cette faculté n'a pas de doyen depuis plus d'un an; c'est là une situation inusitée dont les effets sont néfastes et qui nous inquiète pour l'avenir et la crédibilité de la FES. En effet, le recteur Vinet propose à la communauté un document de réflexion intitulé Rapport de synthèse de la tournée du recteur, UdeM 2010. Dans quelques paragraphes qui touchent les études supérieures et la FES, le recteur exprime ses opinions dans des termes qui vont dans le sens de ce qui s'est produit à McGill.

Devant ces faits, plusieurs sont convaincus que les changements voulus par la direction vont dans le sens de ceux qui se sont produits à McGill et qu'il y a tout lieu de craindre que les jours de la FES ne soient comptés. Certains peuvent se réjouir de cette perspective; je crois que c'est faire preuve d'une vision à très courte vue. Je n'ai pas à juger si McGill a pris une bonne orientation. En ce qui touche l'Université de Montréal, je ne crois pas que ce serait une sage décision. Ce qui est bon pour l'Université McGill ne l'est pas nécessairement pour l'Université de Montréal.

Voici quelques considérations dictées par mes onze ans (quatre ans comme vice-doyen et sept ans comme doyen) à la direction de la FES.

Rappelons d'abord que la Faculté des Études supérieures a été un outil privilégié de développement et d'homogénéisation des critères d'excellence pour l'ensemble de l'université (y compris ses facultés professionnelles) et pour ses écoles affiliées. Cette faculté a joué un rôle déterminant dans le fait que l'Université de Montréal se retrouve dans le peloton de tête des universités canadiennes. Je crois que notre université a trop investi dans sa Faculté des études supérieures, je crois qu'elle en a retiré trop de bénéfices pour envisager de la démanteler à partir du précédent de l'Université McGill.

Dans une matière dont les effets seraient considérables, il faut nous garder de prendre des « décisions d'humeur ». Certes, aucune structure n'est à l'abri des critiques, des insatisfactions ou des récriminations.

Reconnaissons que l'accroissement du volume de dossiers d'admissions et du nombre de mémoires ou de thèses, le manque de ressources à la FES ainsi qu'une approche parfois trop prudente ou même tatillonne lui ont fait perdre beaucoup de crédibilité et ont mis à rude épreuve la patience des étudiants, des professeurs et des administrateurs. Cela ne constitue pas pour autant un vice rédhibitoire.

Constatons également que les fonctions mêmes de cette faculté lui ont attiré des critiques qui sont tout à son honneur. C'est le cas lorsque la FES, en plus de son rôle officiel d' « animateur » et de « facilitateur », joue celui de « contrôleur » ou de « redresseur de torts ». La FES a dû intervenir à plusieurs reprises par le passé pour rappeler certains à l'ordre, pour encourager des initiatives marginales ou peu naturelles dans le contexte, pour proposer des changements peu « populaires ». À titre d'exemples, la FES a dû lutter à contre-courant pour faire avancer les dossiers suivants : le décloisonnement et la multidisciplinarité des programmes, le développement des programmes professionnels aux études supérieures, l'affectation des professeurs, la durée excessive des études de maîtrise et de doctorat, les taux d'abandons injustifiés et injustifiables, l'inadéquation de certains modèles dépassés d'encadrement des étudiants, le manque de responsabilité financière de certains professeurs, les lacunes dans les critères d'approbation de mémoires ou de thèses, les exigences trop élevées ou irréalistes dans certains secteurs, les occasions manquées d'interaction avec nos collègues de Poly et HEC… La pente naturelle des choses et des personnes ne va pas nécessairement dans le sens du meilleur intérêt des études supérieures. Une telle situation exige, selon moi, la présence d'un organisme d'animation et de contrôle tel que la FES. C'est se leurrer que de croire que l'on peut impunément répartir les responsabi-lités de la FES entre une douzaine d'intervenants. Notons enfin que la FES constitue un lien important avec les écoles affiliées et que l'effet d'une telle mesure de décentralisation n'est pas évident en ce qui touche les relations de l'Université de Montréal avec Poly et HEC.

La FES a réussi à convaincre la direction de l'urgence de consacrer des sommes de plus en plus importantes au financement des étudiants de maîtrise et de doctorat (comme l'a d'ailleurs toujours compris McGill…). Au moment où l'université subit une fois de plus les effets néfastes de la crise financière, il peut être tentant de redistribuer ces sommes et de s'imagi-ner que l'on a amélioré ce faisant le sort des unités et des étudiants.

Le vent souffle très fort au Québec dans le sens de la décentralisation ou du démantèlement des grandes structures et des organismes de contrôle. Au moment où l'on n'hésite pas à confier aux parents de chaque école la décision du choix du système de notation de leurs enfants, on pourrait dans le même souffle prétendre que tout ce qui est centralisé ou regroupé est à revoir et même à proscrire. Pour l'Université de Montréal, cela pourrait vouloir dire qu'il faut démanteler la FES?, puis la FAS?, la FEP?, la Faculté de Médecine? et qui d'autre?

Une dernière considération me vient de ma double expérience de doyen de la Faculté des études supérieures (1983-1990) et de doyen de la Faculté de l'éducation permanente (1990-1996). Ce n'est pas tout de récupérer des pouvoirs et des responsabilités, encore faut-il avoir les moyens de ses aspirations ou de ses ambitions. Le démembrement de la FES ne libérera certainement pas pour autant les ressources nécessaires pour que les douze facultés et la centaine de départements impliqués soient en mesure de s'acquitter adéquatement de ces nouvelles responsabilités. En ces années de di-sette, il serait bon d'y penser à deux fois avant de jeter l'eau du bain et d'aller porter les bébés dans des bras qui risquent de les trouver étonnamment lourds à porter. Le Comité du bud-get risque d'entendre beaucoup de pleurs qu'il ne réussira pas à faire taire.

Pour tous ces motifs et d'autres que je ne dirai pas, la direction ferait bien de remettre au plus tôt la FES sur les rails. Il est important qu'elle ne l'affaiblisse pas davantage en continuant à remettre en cause son statut de faculté. Il est urgent qu'elle lui nomme sans plus attendre une doyenne, un doyen, fort convaincu et convaincante.

 

Jacques Boucher



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